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Exclusivité Biofutur.com

30 ans de FIV

dimanche 1er avril 2012

par Marie-Catherine Mérat

À l’occasion des 30 ans de la fécondation in vitro (FIV), nous donnons la parole à l’un des acteurs de sa mise en œuvre en France, le gynécologue René Frydman. Il retrace pour nous les évolutions de la procréation médicalement assistée (PMA) depuis 1982.

Selon vous, quelles sont les grandes évolutions de la procréation médicalement assistée sur les 30 dernières années ?
Il y a 30 ans, le premier objectif était le traitement de l’infertilité féminine. Et ce, à une époque où la sexualité avait changé : il y avait peu de précautions, beaucoup de maladies sexuellement transmissibles, d’infections… Parmi les étapes importantes, il y eut d’abord en 1983 la congélation de l’embryon appliquée à l’homme. Puis en 1984, le don d’ovocytes, qui a provoqué un bouleversement complet de la filiation. Ensuite, on a ouvert la porte à l’infertilité masculine, dans les années 1990, avec l’ICSI [Intra Cytoplasmic Sperm Injection, NDLR]. Puis est venu le DPI [diagnostic préimplantatoire, NDLR] : la FIV ne concernait plus seulement des couples infertiles, mais également ceux présentant un risque de transmission de maladie génétique. Ce vers quoi on se dirige et qui a déjà commencé à se développer aujourd’hui, c’est la préservation de la fertilité : la conservation ovarienne, la greffe ovarienne, la congélation des ovules, la maturation in vitro

En France, la PMA affiche 20 % de succès en moyenne, un taux inférieur à celui d’autres pays. Pourquoi ?
L’interprétation des chiffres est liée à plusieurs facteurs. Elle est d’abord liée à la population. Les femmes veulent un enfant plus tard qu’avant et celles qui viennent à la PMA ont aux alentours de 36 ans. Comme la procédure est remboursée par la sécurité sociale, elles viennent facilement jusqu’à 43 ans. La demande est plus tardive, ce qui aboutit à une multiplication des prises en charge qui n’aboutissent pas. Ensuite, il faut tenir compte des moyens attribués pour que ça fonctionne. Aujourd’hui en France, c’est comme si vous faisiez de la chirurgie cardiaque avec un bistouri et une paire de ciseaux ! Il faut voir l’équipement des pays, des laboratoires qui ont de bons résultats… Tout cela pour dire qu’il faut investir. Troisièmement, il faut des gens en nombre suffisant prêts à se consacrer à cette spécialité qu’est la reproduction. On ne peut pas faire de bonne PMA si la PMA n’est pas reconnue. Donc il faut une reconnaissance de cette spécialité, médicale et biologique, lui donner une force en termes universitaire, d’investissement matériel, privé ou public. Aujourd’hui il n’y a pas de relève de biologistes. La PMA est un domaine extrêmement sulfureux. Il faut du matériel, des gens mais aussi soutenir idéologiquement le principe de l’innovation. Je ne dis pas qu’il faut faire tout et n’importe quoi, mais il faut poser les problèmes et essayer de les résoudre, donc avancer. En France, on a plutôt l’impression de buter en permanence que d’être soutenu. Je suis fondamentalement pour une certaine régulation, mais pour une régulation après évaluation. Les anglo-saxons, eux, ouvrent puis évaluent. Je crois que c’est comme ça qu’il faut faire.

C’est ce manque d’investissement dans la PMA qui explique le retard de la France sur le DPI ?
Le DPI, qui était inscrit dans la loi de bioéthique de 1994, a attendu cinq ans pour avoir ses décrets. Ce n’est en 1999 qu’on a eu l’autorisation. Beaucoup de gens y étaient opposés. J’essaie de faire bouger les choses, mais c’est toujours extrêmement cadré. Que ce soit cadré, je n’y vois pas d’inconvénient, mais pourquoi seulement trois centres ? Aujourd’hui, tout de même, il y a eu une aide pour que les trois centres fassent 250 tentatives par an. Le problème, c’est que même avec 250 tentatives par an de DPI, on a 2 ans d’attente. Le DPI mériterait qu’on ait véritablement une vision au niveau national d’un plan qui a besoin d’être renforcé, tout en étant limité dans les indications. Je ne suis pas pour une extension des indications. Autre élément : normalement dans la FIV, on fait quatre tentatives remboursées. Mais si on faisait quatre tentatives, on serait complets jusqu’en 2017. Donc c’est comme dans la chirurgie de guerre, on prend les plus graves pour les opérer, les autres on les fait attendre. On ne prend les gens que deux, trois fois, mais pas quatre, pour laisser la place aux autres. Donc on est en train de faire de la très mauvaise médecine.

À l’occasion des 30 ans d’Amandine, vous proposez aux femmes un diagnostic de leur fertilité…
Combien de femmes viennent nous voir à 41-42 ans et nous disent qu’elles ne savaient pas qu’il existait une telle baisse de fertilité avec l’âge ? On leur dit toujours : « Si on vous avait vue il y a dix ans, ç’aurait été mieux ! ». Donc je pose la question : cela fait-il partie de la prévention ? On sait qu’une femme risque d’avoir un cancer du sein à partir de tel âge, on lui propose donc une mammographie. Pour le cancer du colon, on propose un dépistage à partir de 50 ans. De la même façon, je propose un dépistage de la fertilité aux femmes de 33-35 ans. Elles recevraient un courrier : « Pensez si vous le souhaitez à faire un examen de votre fertilité ». En plus ce n’est pas très cher, c’est juste une échographie et une prise de sang. Il s’agirait de donner aux femmes la possibilité de connaître leur situation de fertilité, ce qui permettrait de les sensibiliser. Ce serait une aide à la décision, qui n’existe pas dans d’autres pays du monde.

Et qu’en est-il de la préservation des tissus ovariens ?
Cela a déjà commencé avec la congélation d’ovules, les freezing parties aux États-Unis. Des jeunes filles décident en groupe d’aller faire prélever leurs ovocytes. Ce n‘est pas mon idée. En revanche, à un moment donné, on en arrive à la prévention. C’est vrai qu’à 25 ans ce n’est pas justifié. Mais autour de la trentaine, s’il n’y a pas de projet immédiat d’enfant et que ce projet est reporté à quelque temps, cela se discute : qu’est-ce qui empêche l’autoconservation ? Quant à la conservation des fragments ovariens, c’est une opération plus lourde, qui est seulement utilisée dans le cadre du traitement du cancer. La congélation d’ovocytes est une technique plus récente et moins lourde, qui donne de meilleurs résultats, elle peut donc être utilisée en prévention.

Quels sont les grands domaines de la PMA amenés à évoluer dans les prochaines années ?
D’abord, le potentiel de l’embryon : qu’est-ce qui fait qu’un embryon peut ou ne peut pas se développer ? Et en amont, qu’est-ce qui fait qu’un ovocyte peut donner un embryon ? Il existe un tas d’approches, génomiques, métaboliques, métabolomiques, qui permettent d’espérer que dans quelque temps on aura une meilleure caractérisation du potentiel de développement. Le deuxième point, c’est tout ce qui concerne l’implantation. C’est la grande étape inconnue. On sait très bien qu’un embryon peut s’implanter dans la trompe, dans le péritoine… Il peut s’implanter là où normalement il ne doit pas s’implanter. Donc je pense que l’embryon est le facteur le plus élevé du potentiel de développement.
Enfin, il serait intéressant de savoir si l’on est capable de faire mieux ovuler des femmes qui ont une réserve ovarienne basse. Qu’est-ce qui régule cela ? Pourquoi l’ovaire s’arrête de fonctionner vers 50 ans ? Y a-t-il un phénomène de cellules souches qui régénèrent ou pas ? On l’évoque ces derniers temps, c’est contesté. Est-ce que on va vers l’injection de cellules souches dans l’ovaire pour le restimuler ?
Sur le plan cognitif, il y a beaucoup de choses qu’il apparaît intéressant d’expérimenter. Mais après, la question, c’est de savoir s’il est pertinent de les appliquer. Il faut toujours se demander « pourquoi fait-on cela ? ». On ne va pas faire ovuler une femme jusqu’à 80 ans ! Tout le problème est de rester dans un cadre médical, le traitement de l’infertilité, sachant qu’il y a aussi des demandes qui ne rentrent pas dans ce cadre médical : la femme seule, le couple homosexuel… On ne peut pas aborder ces questions sans avoir une réflexion éthique sur ce que l’on veut, les limites que l’on se donne… Est-ce la volonté qui prime moyennant finances, comme en Californie où on peut choisir le sexe de son enfant, ou est-ce que l’on reste le plus possible dans un domaine médical ? Il y a ce qui est clairement médical, il y a une petite zone à la frontière, et puis il y a ce qui en sort complètement.

© R. Frydman

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