Des chauve-souris porteuses de la grippe

On les savait vectrices des virus de la rage et Ebola, les voilà maintenant porteuses de la grippe. Des chercheurs des Centers for Disease Control américains et de l’université del Valle, au Guatemala, ont isolé chez deux populations de chauves-souris une souche virale correspondant à la grippe A.
Lors de deux campagnes, en mai 2009 et en septembre 2010, les chercheurs ont capturé 316 chauves-souris de 21 espèces différentes, dans 8 zones du sud du Guatemala. La recherche de séquences génomiques très conservées chez les virus grippaux dans les prélèvements a révélé la présence d’une activité transcriptase inverse dans trois des échantillons, provenant de deux emplacements de capture distants d’environ 50 kilomètres. Et les trois échantillons étaient issus de chauves-souris Sturnira lilium (dite sturnire fleur de lys ou chauve-souris à épaules jaunes commune), une espèce frugivore très abondante en Amérique Centrale et du Sud.
L’analyse génétique poussée des séquences ainsi isolées a permis d’identifier la souche virale comme étant très proche du virus de la grippe A, qui a tant fait parler de lui en 2009. Fort heureusement, le génome de la souche A/bat/Guat/09 diverge des souches connues de grippe A. Il diverge en fait tellement au niveau de l’antigène de surface qu’est l’hémagglutinine (H) que les chercheurs l’ont classé dans un nouveau sous-type, H17. Ces travaux renseignent d’ailleurs sur la phylogénie des virus de la grippe A, dont les antigènes de surface HA et les 6 antigènes internes auraient divergé d’une souche ancestrale à peu près au même moment. Quant à l’antigène de surface neuraminidase (N), il pourrait être issu d’un gène ancestral bien plus ancien ou, vu l’homologie des différentes souches grippales, avoir émergé au même moment puis évolué plus vite.
Dernière découverte, plus alarmante celle-là, le complexe de réplication (qui contient les polymérases virales) de la souche A/bat/Guat/09 fonctionne dans une cellule humaine, ce qui indique qu’il est compatible avec la version humaine de la grippe A et donc qu’un réassortiment génétique entre les deux virus est possible.
Pour les chercheurs, aucun doute, les chauves-souris doivent être incluses dans le répertoire des espèces réservoirs des virus de la grippe A. Reste maintenant à répondre à certaines questions : comment ces virus se maintiennent-ils dans les populations de chiroptères ? Et surtout, y a-t-il d’autres réservoirs de souches ancestrales de la grippe dans le règne animal ?

Tong S et al. (2012) Proc Natl Acad Sci USA,
doi:10.1073/pnas.1116200109