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Génomique extrême

mardi 12 août 2014

par Agnès Vernet

Le séquençage du génome d’un insecte vivant en Antarctique illustre l’évolution des extrêmophiles.

Alors que les insectes constituent la forme de vie la plus répandue sur la planète, ils ne sont représentés que par une seule espèce sur le continent Antarctique : le moucheron Belgica antarctica. Adapté à un milieu très froid, desséché, avec un fort taux de salinité et soumis à des vents violents ainsi qu’à des rayonnements ultraviolets intenses, ce diptère a été choisi pour devenir un modèle de génome eucaryote extrêmophile par un groupe de chercheurs issus de plusieurs universités américaines, dont la prestigieuse université californienne Stanford, et l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (1). Au vu de ces conditions de vie hostiles, les populations de cet insecte sont de faible taille. La rencontre avec des congénères est donc un événement rare.
Après séquençage et assemblage, les scientifiques ont découvert un tout petit génome de seulement 99 mégabases, quand Chironomus tentans, un diptère de la même famille, en affiche 205. L’ADN de B. antarctica présente peu de séquences répétitives et des introns de longueur réduite comparés à ceux de ses congénères vivant dans des milieux moins hostiles. Les éléments transposables sont quasiment absents de son génome. En revanche, les séquences codantes sont similaires à celles des autres diptères, à l’exception de quelques groupes de gènes un peu plus abondants, associés au développement, au métabolisme et aux réponses aux stimuli extérieurs. Sans surprise, les chercheurs ont identifié parmi eux des gènes caractéristiques de la vie extrêmophile, comme des protéines de résistance au choc thermique. L’environnement extrême semble ainsi avoir fortement contraint l’architecture génomique mais peu le contenu génétique.
En tant que premier insecte polaire séquencé, B. antarctica s’impose désormais comme un modèle d’évolution eucaryote dans les milieux extrêmes. Contrairement à ce que Michael Lynch, le directeur du Laboratoire de génomique évolutive de l’Université d’Indiana, imaginait en 2006 (2), cet insecte du pôle Sud ne s’est pas doté, au fil du temps, d’un génome de grande taille pour compenser la réduction de l’efficacité des processus de sélection liée à la faiblesse des populations. Dans ce cas précis, il semblerait que la pression environnementale soit si forte qu’elle ait poussé à l’adaptation au milieu au détriment des autres forces évolutives.

(1) Kelley J et al. (2014) Nat Commun 5, 4611
(2) Lynch M. (2006) Mol Biol Evol) 23, 450-68

B. antarctica mâle (à droite) et femelle (à gauche).
© Richard E. Lee Jr