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La barrière inter-espèces fragilisée par le bisphénol A

mercredi 18 juillet 2012

par Marie-Catherine Mérat

En analysant les changements comportementaux et physiologiques de deux espèces de poissons, des biologistes américains montrent que le bisphénol A (BPA) favorise les hybridations inter-espèces.

Le BPA présent dans les rivières américaines modifierait le comportement reproducteur de certains poissons, favorisant l’hybridation inter-espèces. C’est l’inquiétante conclusion d’une étude menée par les biologistes américains Jessica Ward et Michael Blum, de l’Université du Minnesota.
Le BPA est un composé organique utilisé pour la fabrication de récipients en plastique de type polycarbonate et de revêtements plastiques de type résine époxy. C’est aussi un perturbateur endocrinien capable de mimer l’action de l’œstrogène, l’hormone sexuelle féminine, donc d’avoir des effets nocifs sur la reproduction. Étant donné qu’il peut migrer en petites quantités dans les aliments et les boissons stockées dans les matériaux qui le contiennent, il est actuellement interdit pour la fabrication de biberons en polycarbonate en Europe, au Canada et dans plusieurs états américains.
Si son utilisation commence à être réglementée, le BPA pollue néanmoins de nombreux écosystèmes aquatiques à travers les États-Unis. Jessica Ward et Michael Blum ont donc voulu déterminer si ce composé peut altérer le comportement reproducteur de certains poissons. Plus précisément, connaissant la propension de l’espèce de poisson invasive Cyprinella lutrensis à s’hybrider avec l’espèce native (C. venusta) des fleuves dans lesquels elle est introduite, les biologistes ont cherché à savoir dans quelle mesure le BPA joue un rôle dans ce phénomène, véritable menace pour la biodiversité.
Les deux scientifiques ont donc collecté des individus des deux espèces dans deux ruisseaux de l’État de Géorgie. Puis ils les ont maintenus pendant 14 jours dans des aquariums contenant du BPA, avant de comparer leur comportement reproducteur avec celui de poissons non exposés au perturbateur endocrinien. Résultat : les poissons exposés avaient davantage tendance à faire la cour aux poissons de l’autre espèce que leurs congénères non exposés. En modifiant le système endocrinien, qui contrôle la libération d’hormones, le BPA influencerait en effet le comportement et l’apparence (taille, couleur) des poissons, amenant un individu d’une espèce à se tromper et à considérer un poisson de l’autre espèce comme appartenant à la sienne. Par exemple, exposés au BPA, les mâles de l’espèce C. lutrensis perdent de leurs couleurs. Moins chatoyants, ils ressemblent alors aux mâles de l’espèce C. venusta, conduisant les femelles de cette espèce à se tromper de partenaires.
Certes, l’étude n’a pas inclus de tests génétiques qui auraient permis de vérifier si ces comportements altérés peuvent conduire à des hybridations inter-espèces, mais elle révèle néanmoins un phénomène inquiétant, aux graves conséquences écologiques à long terme : en fragilisant la barrière inter-espèces, le BPA favoriserait l’implantation des espèces invasives et donc la perte de biodiversité.

Ward JL, Blum MJ (2012) Evol Appl,
doi:10.1111/j.1752-4571.2012.00283.x

C. lutrensis
© Marine discovery
[GFDL ) or CC-BY-SA-3.0-2.5-2.0-1.0], via Wikimedia Commons

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