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Toxicité des OGM : « Notre étude est la meilleure au monde »

vendredi 26 octobre 2012

par Agnès Vernet

Gilles-Éric Séralini a accepté de se soumettre aux questions d’Armel-Alain Gallet, de l’Institut Sophia Agrobiotech, Philippe Joudrier, de l’Association française des biotechnologies végétales, et Kris Van der Beken, de l’Institut flamand des biotechnologies (VIB). S’il comprend certaines interrogations, Gilles-Éric Séralini garantit que ses travaux restent uniques en leur genre.

Armel-Alain Gallet > Les résultats ne montrent pas de relation effet-dose. Un groupe traité au RoundUp, par exemple, a autant de sujets atteints que le groupe contrôle. Avez-vous une explication ?
Gilles-Éric Séralini > Nous observons des différences avec le groupe contrôle pour les valeurs biochimiques, le nombre de tumeurs et la mortalité. Seule la mortalité des mâles traités au RoundUp ne diffère pas du contrôle. La relation effet-dose existe mais elle n’est pas linéaire. Elle se présente sous forme d’une courbe en cloche, comme tous les perturbateurs endocriniens. Souvent, on suppose qu’une relation effet-dose se traduit par un effet linéaire. C’est ce que l’on cherche en toxicologie classique, comme avec un poison, une mycotoxine ou d’autres pathogènes. Jusqu’à présent, cela ne pouvait pas être montré avec les OGM car les tests de Monsanto sur le maïs NK603, et tous les autres OGM, ont été effectués avec deux doses, ce qui ne permet pas de voir si l’effet est linéaire. Nous observons un seuil élevé d’effets sur les doses les plus faibles et une légère, mais non significative, inhibition sur les plus fortes doses, comme pour une hormone. Par exemple, un peu d’œstradiol déclenche l’ovulation et beaucoup la bloque : c’est l’effet pilule. Dans l’étude, nous montrons une perturbation des hormones sexuelles qui semble, au moins en partie, responsable des tumeurs mammaires ou des pathologies hépatorénales que nous avons observées.
L’OGM que nous avons testé agit en perturbateur endocrinien comme le RoundUp, pour lequel cet effet a été observé in vitro sur des cellules humaines. Le glyphosate, principe actif du RoundUp, pénètre dans les cellules grâce aux adjuvants de l’herbicide qui forment des vésicules. Une fois dans la cellule, il peut s’accrocher aux enzymes ou aux récepteurs des hormones sexuelles. Seul, il n’interagit pas avec ces protéines. Cela a été montré avec des spectres d’interaction et des études moléculaires sur des cellules humaines. Cet effet du RoundUp est connu mais notre étude est la première qui le démontre chez le rat au cours d’un test chronique « vie entière ». Il est clair que cela ne marche que si le pesticide est dans sa formulation. Si on étudie le glyphosate seul, on ne peut pas observer cet effet : il est soluble, ne traverse pas les membranes et n’est même pas herbicide. Il lui faut ses adjuvants corrosifs pour montrer un effet in vivo voire in vitro. Ces adjuvants ne sont d’ailleurs jamais testés à long terme, un scandale selon moi.

Philippe Joudrier > Que pensez-vous du fait que les éleveurs d’animaux de laboratoire nord-américains contrôlent et donnent uniquement des aliments issues de cultures transgéniques à leurs animaux depuis plus de 10 ans ? Que faire de ce recul ?
GES > Philippe Joudrier ne doit pas connaître le dossier. Les OGM ne sont pas étiquetés aux États-Unis, l’alimentation est donc une mixture de tout. [Sur le sol américain, ndlr], il y a 25 à 40 % de maïs OGM, qui n’ont pas tous le même caractère. Ce ne sont pas les conditions d’une expérimentation. Chez les contrôles de la souche de rat utilisée, les américains observent beaucoup de tumeurs spontanées, sans doute explicables. Mais sans étiquetage ni registres des cancers animaux, on ne peut pas faire d’études épidémiologiques sérieuses pour comprendre leur origine. Le problème est de standardiser l’alimentation afin de ne regarder qu’une seule variable à la fois. Je n’accepte pas des critiques aussi vagues. Tout n’est pas OGM aux États-Unis et les américains ont une bien plus grande variété d’OGM que nous. On ne peut pas tirer ce type de conclusions faciles.

Kris Van der Beken > Le VIB remarque que chez les rats Sprague-Dawley, l’incidence à deux ans des cancers spontanés est de 72 % chez les femelles et 82 % chez les mâles, chez des animaux soumis à des diètes saines. Or les chiffres observés dans vos groupes tests sont comparables.
GES > Ce n’est pas du tout comparable à ce que nous avons observé chez les mâles : 1 tumeur palpable non régressive pour 10 rats et 4 tumeurs chez les femelles contrôles jusqu’à 700 jours. Alors que l’on a observé jusqu’à 14 tumeurs chez les femelles traitées au RoundUp ! Et nous avons une diète tout à fait contrôlée en OGM et pesticides, ce qui n’est pas le cas dans les diètes habituelles dites « saines ». Pour avoir ces chiffres de témoins, j’imagine qu’ils mélangent toutes les diètes du monde. Ils compilent des études où l’on mesure le nombre de tumeurs en toute fin de vie alors que nous regardons le différentiel au bout d’un an, un an et demi ou deux ans. Il n’y a pas d’étude dans le monde qui montre la chronologie des tumeurs dont ils parlent.
Toutes les études compilées pour obtenir ces chiffres ne sont pas réalisées dans les conditions de l’environnement BPL [bonnes pratiques de laboratoires, ndlr] que nous avons respectées. C’est-à-dire : un air contrôlé, une nourriture contrôlée pour les pathogènes et les mycotoxines, un certain degré de lumière et une température constante, une eau contrôlée notamment pour sa teneur en pesticides, etc.
Je veux bien admettre que chaque étude a ses limites. Mais j’ai fait le choix scientifique de travailler avec cette souche de rat en toute connaissance de cause. Cela n’aurait servi à rien d’utiliser une souche de cobayes résistant à toute tumeur. Si nous avions fait cela, nous n’aurions jamais pu voir un risque représentatif de ce qui peut se passer dans d’autres espèces de mammifères ou chez la femme.

PJ > Pourquoi, avec 200 rats, avoir fait des cohortes plus nombreuses sur le seul paramètre glyphosate ou OGM ?
GES > Nous n’avons jamais testé le paramètre glyphosate car, pour nous, le glyphosate seul est moins toxique que dans le RoundUp. Le responsable est un adjuvant bien connu que nous avons identifié par spectrométrie de masse en tant que principe actif toxique pour l’homme. Nous publions un article sur le sujet ce mois-ci dans Toxicology.
Pour revenir à la question, pourquoi ne pas avoir fait des cohortes de 50 rats comme dans une étude de cancérogenèse ? Mais c’est une deuxième étape ! Quand on veut faire une étude de toxicologie approfondie, on mesure le plus de paramètres possible, pendant longtemps. S’il se développe des tumeurs, alors on fait un protocole de cancérogenèse. Et dans ce cas, on travaille avec 50 rats sans étudier tous les paramètres de toxicologie mais uniquement la genèse et le détail des tumeurs. Quand on ne soupçonne pas qu’un produit puisse être cancérogène, on ne commence pas par un protocole de cancérogenèse. On ne peut pas trouver les financements pour ce genre d’étude sans la toxicologie. La preuve ? L’industrie ne le fait jamais. Dans leurs protocoles, il n’y a jamais plus de 10 rats par groupe pour les OGM. Pour la pomme de terre BASF, c’est même 5 rats par groupe et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) en est responsable, à cause des lourds conflits d’intérêt à mon avis. Pourquoi Philippe Joudrier ne s’est-il pas prononcé là-dessus ? 10 rats par groupe c’est beaucoup aujourd’hui pour 98-99 % des expériences de laboratoire ou industrielles. J’entends bien que nos résultats sont limités et que l’on pourrait faire mieux avec les statistiques sur 65 rats par groupe mais pourtant notre étude est la meilleure au monde à ce jour. Il n’y a jamais eu d’étude de 50 rats par groupe sur les OGM ou le RoundUp. Les personnages comme Philippe Joudrier ne l’ont jamais exigé, ni même la prolongation des tests à plus de trois mois pour les OGM.
Nous avons choisi ce schéma de 10 rats par groupe pour comparer les animaux groupe à groupe. Nous voulions étudier à la fois les trois doses et les deux sexes, à comparer avec l’étude de Monsanto qui ne montre que deux doses pour des cohortes de 10 rats. Trois doses, comme le demandent la biochimie à long terme et l’OCDE, permettent de montrer la linéarité de l’effet. Il n’y a que pour l’étude de la cancérogenèse que les protocoles de 50 rats sont exigés. C’est pourquoi nous avons réalisé des statistiques approfondies sur la biochimie, soit sur 50 à 100 valeurs par rat, mesurées à 11 reprises sur 200 rats. Cela nous a permis de faire des statistiques génomiques et transcriptomiques qui révèlent que les paramètres discriminants sont rénaux à 76 % et que les hormones sont perturbées.
Or les statistiques ne disent pas la vérité, elles ne disent pas l’interprétation biologique. Pour cela, il faut croiser les paramètres étudiés : la biochimie, l’anatomopathologie, la microscopie optique, la microscopie électronique et les dosages de marqueurs tissulaires. C’est ce qu’on a fait dans cette étude. On a fait au mieux, avec les moyens qu’on avait. Il aurait fallu 20 millions d’euros pour faire 50 rats par groupe dans ces conditions. Ensuite, il faut recommencer sur d’autres OGM ou alors espérer des appels d’offre publics pour d’autres crédits. Mais, pour l’instant, les appels d’offre sont gérés par des gens comme messieurs [Gérard] Pascal [toxicologue à l’Inra, ndlr], [Marc] Fellous [président de l’Association française des biotechnologies végétales, ndlr] et Joudrier ou d’autres qui ne voulaient pas prendre ce type de protocoles. Ils ne peuvent pas reprocher à d’autres ce qu’ils n’ont pas incité à faire.

AAG > Comment ne pas invoquer une interaction entre la prédisposition génétique et la présence d’herbicide (ou de ses composés de dégradation), plutôt qu’un effet direct de l’herbicide (ou de ses composés de dégradation) ?
GES > Cela revient à nous demander pourquoi nous avons choisi cette souche de rats. Pour plusieurs raisons : la première, c’est qu’elle est représentative des risques dans la population humaine qui, elle aussi, est sensible [au développement de cancers], et la deuxième, c’est que c’est la souche utilisée pour tout les tests d’OGM dans le monde. Il fallait comparer aux événements [hépato-rénaux, ndlr] que Monsanto avait vu et sous-interprété en 2003. Nous avons, par contre, considéré ces événements comme des signes de toxicité et cherché à voir quelles pathologies se développent à terme. Nous ne savions pas si nous allions trouver des tumeurs mammaires ou autre chose.

Biofutur > Rendrez-vous publiques les données brutes de votre étude ?
GES > Bien sûr. Nous allons auparavant publier toutes les données qui doivent être publiées, puis elles seront rendues publiques à partir du moment où on en aura fait de même avec les études qui ont abouti à l’autorisation du RoundUp et des OGM. Nous ne voulons pas les donner à l’Efsa ou à des comités qui ont participé à l’évaluation de ces OGM et qui ont estimé qu’ils étaient bien évalués. Ils sont juges et parties. Nos conclusions ont démontré un grand laxisme de leur part. La publication de nos résultats sur un site public permettra de les comparer à ce qui a été fait pour un même produit.

Biofutur > Quels sont les volets de l’étude qui restent à publier ?
GES > Il reste au moins cinq articles à publier sur cette étude. Il nous semblait important de commencer par les résultats de toxicologie à long terme. Les premiers volets concerneront ce qui s’est passé dans chaque organe, corrélé avec l’ensemble des paramètres biologiques de manière chronologique. Puis nous publierons pour montrer que la composition des croquettes était correcte et que la consommation des rats n’a pas varié. Et il y a les études de génomique et de transcriptomique pour présenter les différences détaillées entre les maïs OGM et non OGM, et celles dans le métabolisme des rats nourris par ces maïs. On devrait ainsi démontrer quels sont les gènes perturbés à l’origine des pathologies observées. Nous ne pouvons pas tout faire en une seule étape. Nous avons aussi l’intention de réaliser d’autres protocoles avec du maïs Bt et des études transgénérationnelles longues, contrairement à celles que nous voyons publiées aujourd’hui où il n’y a qu’un mois de nourrissage OGM par génération.
Sur le maïs Bt, nous avons déjà commencé à travailler sur les effets des insecticides Cry1Ab et Cry1Ac sur les cellules humaines [en culture, ndlr]. Cette étude est parue au début de l’année 2012. Il faut étudier aussi les effets des pesticides liés à ces OGM. Et c’est pour cela que nous avons utilisé comme contrôle, en quelque sorte, le RoundUp seul. Il faut bien insister : le deuxième volet de cette étude concerne l’herbicide en formulation. Cette partie est une recherche vraiment unique à très faible dose sur vie entière. En testant seulement le principe actif on observe une sous-estimation systématique de la toxicité.

Biofutur > Vous avez une attachée de presse. Vous avez accordé une exclusivité au Nouvel Observateur et leur article est paru avant celui de Food & Chemical Toxicology. Corinne Lepage et vous sortez chacun un livre, sans parler du documentaire que vous avez commandé à Jean-Paul Jaud. N’avez-vous pas peur que cela desserve votre propos scientifique ?
GES > L’attachée de presse a été engagée par mon éditeur. Quant aux images, elles ont été demandées par les deux fondations qui ont financé cette recherche. Mais je me suis en effet directement adressé à Jean-Paul Jaud. Je l’avais rencontré à l’occasion du tournage de son précédent film, Severn la voix de nos enfants, dans lequel il m’avait demandé d’intervenir. Je lui ai proposé de réaliser nos images car je voulais quelqu’un de confiance. Mais le fait de réaliser un film le long de l’expérience était imposé par nos bailleurs de fonds. Quant à ce qui s’est passé avec le Nouvel Obs, tout est paru le même jour que l’étude, et les quelques heures d’avance de parution du journal sont dues à une anticipation de la grève de la distribution. Pour le reste, notre droit de répondre à tel ou tel journal est entier. Toute cette discussion m’apparaît très secondaire face aux graves risques de santé publique que cela représente.

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© A. Vernet

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