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Avoir du singe dans le sang

jeudi 25 octobre 2012

par Agnès Vernet

L’analyse phylogénétique de gène ABO montre la grande conservation du polymorphisme des groupes sanguins à travers les primates et bouleverse les théories en place.

Les groupes sanguins A, B et O sont communs à tous les primates. Pour expliquer le partage de ce caractère, deux hypothèses s’affrontent : la convergence évolutive et la transmission du caractère depuis un ancêtre commun. La première théorie suppose que les pressions environnementales amènent des espèces différentes à partager un caractère sans qu’il soit hérité d’un ancêtre commun. La seconde implique une hérédité à travers l’évolution des espèces depuis un ancêtre commun. La controverse perdure depuis des dizaines d’années, dans un débat de spécialistes où la convergence évolutive garde un léger avantage.
Afin de démêler cette question, les paléogénéticiens de l’Université de Chicago, en collaboration avec l’Inra, le zoo de Chicago et l’Université Hébraïque de Jérusalem, ont réalisé des analyses de données génétiques issues de différents primates. Les chercheurs ont ainsi travaillé à partir de données issues de la littérature pour plusieurs espèces de singes et d’ancêtres humains, et d’échantillons prélevés sur des hominoïdes du zoo de Chicago. La construction d’arbres phylogéniques a permis de révéler que le polymorphisme ABO ne tient qu’à la variation de deux acides aminés, au niveau de l’exon 7 du gène ABO. La variation de ces deux acides aminés aboutit, chez tous les primates testés, à l’existence des allèles A ou B. Ces résultats suggèrent donc que les singes, bien que distants dans l’évolution, partagent les mêmes bases génétiques à l’origine des groupes ABO que l’homme. Il existe ainsi une zone du génome pour laquelle un humain du groupe A est bien plus proche d’un gibbon du groupe A que d’un humain du groupe B.
Selon ces travaux, la phylogénie du gène ABO s’avère incompatible avec les modélisations basées sur la convergence évolutive. En revanche, ces données concordent avec l’hypothèse de caractères hérités au cours de l’évolution des espèces. Les groupes sanguins A et B semblent donc être un polymorphisme partagé entre différentes espèces distantes. Il apparaît que sa conservation résulte, probablement, d’un mécanisme de sélection balancée, dans lequel le phénotype le plus avantagé est l’hétérozygote, ce qui permet aux deux allèles d’être maintenus conjointement. D’autant que la datation de ce polymorphisme indique que l’apparition du groupe ABO remonte à environ 10 millions d’années. Or le maintien de caractères sur de longues périodes est fréquent dans ce type de mécanismes évolutifs.
Mais la question des pressions sélectives à l’origine de ce polymorphisme reste entière. On ignore toujours précisément la fonction conférant l’avantage évolutif. Le rôle de l’expression des antigènes sur les globules rouges ne convainc pas les auteurs. Il leur semble plutôt que ce gène intervient dans un autre phénomène, de manière importante, permettant d’expliquer la sélection balancée. Une fonction à découvrir.

Ségurel L et al. (2012) Proc Natl Acad Sci USA,
doi:10.1073/pnas.1210603109

© Nyki m via Wikimedia Commons

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